8 – Etre patriote un siècle après « Ceux de 1914 »

Liberté et défense de la Patrie, Egalité de tous dans la souffrance, Fraternité que tous les combattants connaissent et bien éloignée de la fraternité souvent de façade d’aujourd’hui, Sacrifice, Courage, Exemplarité, Honneur sont les valeurs à promouvoir encore et dont nous avons encore plus besoin aujourd’hui. Les hommes pour les incarner aussi. La 21e promotion de l’Ecole de guerre composée de 298 stagiaires français et internationaux a reçu le 22 janvier 2014 le nom de « Ceux de Quatorze » en reconnaissance de ces valeurs et des hommes qui les ont incarnées bien au-delà de ce que nous pourrions imaginer ou vivre aujourd’hui.

Dépassant la simple mise en avant d’une victoire, de la glorification sans profondeur des combats, ce sont les hommes que cette promotion d’officiers supérieurs de 73 Etats a souhaité mettre en avant. Ce nom de « Ceux de Quatorze » a une vocation d’universalité, associant tous les combattants du « seconde classe » au généralissime, toutes nations confondues. Il est celui du souvenir du sacrifice, et au-delà, de la réflexion indispensable qui doit concerner non seulement les militaires mais tout citoyen, du « pourquoi » de ce sacrifice. Cependant, la place du militaire dans la victoire ne doit pas être oubliée ou minorée dans les commémorations et surtout pas dans la mémoire de chaque citoyen !

Le choix de ce nom de promotion par les officiers stagiaires est donc opportun. Il permet d’évoquer un certain nombre de réflexions qui secouent notre société. C’est en effet cette réécriture possible, sinon cette incompréhension contemporaine du sens du devoir de ces millions d’hommes qui ne sont pas allés « à la guerre » par plaisir. D’aucuns pourraient aussi faire croire que c’était par la contrainte. Oui, sans doute, mais par la contrainte sociale dans l’intérêt d’un pays agressé. Le citoyen doit défendre son pays y compris par une arme. Oui, sans doute, mais par la contrainte individuelle issue de l’instruction publique de la IIIe République qui rappelait sans cesse la perte de l’Alsace-Lorraine conquise par l’Allemagne prussienne en 1871 – et de l’éducation familiale qui rappelait le sens du devoir.

D’aucuns diraient aussi que la population française avait été manipulée pour accepter la guerre, que la jeunesse n’avait pas voulu la faire, que la désertion existait, qu’il y a eu même des fusillés pour l’exemple, acte aujourd’hui jugé inacceptable. Oui, sans doute. Il y a eu des déserteurs comme dans toutes les guerres. Cependant, en août 1914, l’état-major de l’armée française escomptait 13 % de réfractaires : il n’y en eut que 1,5 %. Oui, il y a eu des fusillés pour l’exemple durant la Première Guerre mondiale, soit 740 fusillés pour l’exemple en comptant les civils (Nicolas Offenstadt interviewé sur Mediapart le 25 janvier 2014). A comparer aux 1,3 million de morts français de cette guerre, quelle importance faut-il donner aux uns et aux autres ?

N’effacerait-on aujourd’hui l’Histoire qui a eu lieu au profit d’une certaine forme d’idéologie ou en raison d’une part d’igno­rance ? Comprendre la Grande guerre, ses causes, ses sacrifices, ses morts, ses conséquences sur la France, sa place dans le monde « d’après » mérite d’être enseignée à l’école en profondeur plutôt que d’autres thèmes plus idéologiques, plus axés sur les droits qui, certes à aborder mais à une juste place, brouillent l’image de la France, de son passé, de son présent donc. Le sens du devoir de « ceux de Quatorze » doit être enseigné car il a été exemplaire.

Avec notre état d’esprit actuel, aurions-nous été capables de monter à l’assaut des tranchées ennemies au nom du devoir, l’offi­cier devant, les soldats le suivant, sachant que peu d’entre eux reviendraient ? Qu’aurions-nous fait avec seulement cette conviction personnelle : « c’est mon tour et je ferai du mieux que je peux dans cet enfer » ? Quel sens du devoir et du sacrifice pour défendre son pays et sa population, quel courage ces hommes ont-ils eu !

Reconnaissance pourtant bien oubliée lorsque je constate le peu de public aux cérémonies du 11 novembre. Seule l’action du maire peut obtenir une participation des écoles… si cette commémoration ne tombe pas lors d’un « pont ». Ne devrait-on pas supprimer ce jour « férié » pour en faire une journée officielle de commémoration et du souvenir à laquelle la participation serait obligatoire : écoles, administrations et pourquoi pas les entreprises sous une forme à imaginer ?

Parfois, j’entends aussi le mot de « bouche­rie » que ce soit sous la plume de quelques journalistes ou de quelques personnes pour qualifier cette Grande guerre, grande non par sa gloire mais par sa longueur et l’exem­plarité des sacrifices individuels et collectifs. Qualifier cette guerre de «boucherie» est une marque de mépris envers les combat­tants qu’ils aient été français, allemands ou d’une autre nationalité.

La guerre n’a jamais été fraîche et joyeuse, elle n’a et sera jamais « propre ». Il y aura toujours du sang et des larmes, des morts, des blessés, des mutilés, des familles endeuillées. Reconnaître le sens du devoir, le sens du sacrifice, le sens de l’engagement me paraît à la fois juste et honnête. Nos contemporains sans doute affaiblis par des dizaines d’années de paix peuvent juger aujourd’hui mais cela me paraît une position bien confortable.

Quant au devoir de mémoire, doit-il s’affran­chir d’une histoire officielle nationale qui donne du sens, qui mobilise et contribue à la cohésion de la Nation ? Cela ne signifie pas occulter une partie de cette histoire mais de faire le choix des faits qui la construisent et la font avancer avec force et vigueur. Une vision commune doit être construite et partagée, sinon imposée. Les polémiques historiques, souvent le fait de groupes minoritaires et contestataires que nous subissons depuis plusieurs années, doivent être combattues.

Enfin, une question finalement apparaît : être patriote a-t-il encore un sens aujourd’hui alors que l’on fait appel souvent au patrio­tisme économique depuis quelques mois, sans doute mieux accepté ? Je repren­drai volontiers ce discours de François Hollande, candidat, le 29 avril 2012 : « Le patriotisme c’est servir une cause qui est plus grande que nous, c’est ce qui nous permet de nous dépasser nous-mêmes, de dépasser nos frontières ». N’est-ce pas ce que cette guerre de 1914-1918 nous apprend peut-être, nous rappelle sûrement ?

Par le Colonel François CHAUVANCY (s’exprime en son nom)
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