11 – L’avenir de nos armées, de l’incompréhension à l’inquiétude

par les Généraux 2s D. VALERY et J.J. CAHUET

L’une des responsabilités majeures de nos décideurs politiques est d’assurer l’adaptation de l’outil de défense aux risques et menaces auxquels notre pays pourra se trouver confronté à court, moyen et long termes.

25 ans après la disparition de la menace du pacte de Varsovie, les pays de l’Union européenne assistent à une accentuation progressive et sévère de la tension internationale. Jamais leurs armées n’ont été autant engagées sur des théâtres d’opérations de plus en plus proches de leur territoire et nul ne peut prédire quelle sera l’évolution de la situation en Ukraine, pays géographiquement situé en Europe et même candidat à l’UE. De plus, la profonde dégradation de la situation en Afrique comme au Moyen Orient génère une spectaculaire montée des dangers, y compris au sein même de notre territoire.

Une telle situation pose la question de l’urgence d’une actualisation de notre défense.

Le concept de défense

Ce concept, dans l’esprit de la majorité nos concitoyens, se fonde sur les évidences suivantes :

  1. Le monde reste dangereux et dominé par les rapports de force dont l’expression ultime se situe dans le conflit des armes, en dépit des espoirs nourris par les perspectives des « dividendes de la paix » et les vertus du « soft power ».
  2. La défense du pays (et de l’Europe) suppose l’existence d’une puissance militaire capable de dissuader un ennemi potentiel et de le combattre avec succès si celui-ci l’agresse.
    Notre pays doit à cette fin se préparer à faire face à toute la gamme des risques et menaces envisageables en y apportant les réponses adaptées, de l’interposition type Casques bleus à l’engagement de combats de haute intensité et de haut niveau en passant par la défense du territoire et l’assistance à la population lorsque les moyens normaux des services publics sont dépassés. Il doit s’attacher à traiter les conflits du moment mais aussi à se mettre en mesure de passer rapidement à tout nouveau mode d’engagement que pourrait requérir l’évolution de la situation.
  3. La crédibilité de la puissance militaire repose sur :

– un soutien sans faille de la nation,

– une autonomie de décision et d’action suffisante, comportant :

– des capacités de combat de haute intensité d’un niveau suffisant,

– une aptitude à durer par montée en puissance à partir des réserves,

– des capacités de défense du territoire.

Ce concept basique, pertinent et cohérent ne se retrouve pas dans les orientations actuelles de notre défense.

Des constats inquiétants

Le décalage observé, qui ne met pas en cause l’excellence des efforts réalisés dans la préparation et l’exécution des opérations extérieures, est illustré par le constat d’un certain nombre d’anomalies, voire d’incohérences qui suscitent l’incompréhension et dont les principales méritent d’être rappelées.

* En premier lieu, face à l’accroissement des menaces, la France et l’Europe réduisent leurs capacités militaires alors que les arsenaux d’armement se développent dans le reste du monde.

* Les exigences de défense directe du pays se trouvent estompées par une focalisation quasi exclusive sur les opérations extérieures qui se traduit par des contrats opérationnels minimalistes et des formats d’armées d’une taille critique, elles-mêmes mises en difficulté par les aléas de renouvellement des matériels usés.

* L’ampleur des amputations imposées aux armées (les forces terrestres, les plus touchées, se voient passer – en vingt ans – de 3 corps d’armée et la FAR soit 15 divisions à 7 brigades interarmes en 2018) a principalement obéi à la recherche d’économies budgétaires mais ne s’est pas accompagnée d’une évaluation des pertes de capacités opérationnelles que l’on – le politique et le chef militaire – cherche plutôt à camoufler, ni de la définition des modalités de la remontée en puissance que les événements pourraient exiger.

* Face aux risques terroristes sur le territoire dont l’importance s’est accrue, les armées ont perdu le rôle important qu’elles avaient naguère avec des forces affectées à cette mission et comportant une composante importante de réserves (sur cette mission le contrat opérationnel n’est plus que de 10.000 hommes des forces terrestres, soit le quart du nombre de gendarmes mobiles).

* La défense européenne, affichée comme un nécessité absolue, ne fait l’objet que de vœux pieux, jamais accompagnés de la définition de ce qu’elle doit être, des objectifs concrets à retenir et des voies permettant de les atteindre.
* L’ancrage des armées dans la nation, indispensable à la défense d’un état démocratique, se désagrège avec l’affaiblissement de la présence et du rôle des armées sur le territoire et l’absence d’une sensibilisation des jeunes à leur devoir de solidarité nationale.

* L’autonomie de décision et d’action dans le domaine de la défense reste aujourd’hui très limitée .

Une clarification nécessaire

Ces anomalies sont de nature à nourrir un certain désarroi dans les armées qui en viennent à s’interroger sur leur vocation et sur leur place dans la nation mais qui gardent la confiance des citoyens, comme l’illustre le sondage ci-dessous :

Si l’on considère les enjeux de la politique de défense, à savoir les intérêts majeurs de la nation et la vie de la population, il paraît difficilement imaginable d’en rester là.

Remédier aux insuffisances des choix actuels suppose, d’une part, le retour de la prééminence de l’intérêt supérieur de la nation qui s’est progressivement effacé devant la montée des individualismes et corporatismes à tous les niveaux de notre société et, d’autre part, le retour à une vision globale et prospective du traitement des questions de défense qui ne peut rester confiné dans les seules approches court terme et sectorielles.

Le rôle qu’ont à jouer les responsables politiques appelle quelques observations. Le thème de la défense est rarement abordé par l’ensemble des personnalités politiques, que ce soit à l’occasion des élections présidentielles ou encore lors des dernières élections européennes où l’on n’a pas vu de candidats français s’engager sur des propositions concrètes de construction d’une défense européenne.

Cette paralysie découle de l’absence d’un débat politique ouvert sur le sujet, due notamment au choix de réserver le soin d’élaborer, au nom de tous, les décisions en matière de défense à un nombre limité d’acteurs, d’ailleurs très sollicités par les lobbies concernés. Les insuffisances relevées dans les orientations actuelles décrédibilisent cette pratique du « domaine réservé » et appellent donc à renouer avec un débat ouvert sur la défense, libéré du ralliement systématique à une doctrine officielle.

Il paraît urgent que les politiques se réapproprient les questions de défense et que les citoyens demandent instamment aux prochains candidats à l’élection présidentielle, qui aspirent à prendre en charge le destin de notre pays, de proposer une politique répondant aux exigences à court, moyen et long termes de la défense de notre pays et de l’Europe et fixant de façon claire et précise les finalités des armées.