CGAL (2s°) Nicolas POLINI
Ce 24 octobre 1920 l’Angleterre vient d’annoncer la prochaine inhumation d’un soldat inconnu dans la cathédrale de Westminster le 11 novembre suivant, date anniversaire de l’armistice de 1918, afin de rendre hommage à ses soldats morts en France.
En France on se plaint du retard pris ! En effet l’idée d’honorer un soldat inconnu décédé lors du premier conflit mondial est exprimée pour la première fois dès 1916 par un militant du Souvenir Français de Rennes, François Simon ; Il a le premier proposé que l’on accueille les restes d’un poilu au Panthéon. Mais ce n’est qu’un an et un jour après la fin des hostilités que la proposition de transférer le corps d’un combattant au Panthéon est revenue devant l’assemblée le 12 novembre 1919 ou elle est votée à l’unanimité.
Mais tout va se compliquer .Cet hommage est alors générateur de violents affrontements idéologiques. La gauche souhaite qu’il repose près » des grands hommes » du Panthéon, tandis que la droite ne voit là qu’une église défroquée par la Révolution et propose l’Arc de triomphe …qui est vu par la gauche comme un symbole impérial…
Faute de consensus, le gouvernement propose que l’on célèbre, le 11 novembre 1920, à la fois le 50éme anniversaire de la troisième république, la victoire de 1918 et la récupération de l’Alsace et de la Lorraine. Le cœur de Gambetta doit aussi être transféré au Panthéon.
Mais tout cela semble bien insuffisant aux yeux de nombreux français, quand ils apprennent de qu’elle manière les Britanniques s’apprêtent à rendre hommage à leurs Tommies. Une virulente campagne de presse est lancée. Dans de nombreuses familles on pleure un soldat sans avoir de tombe ou se recueillir et les journaux racontent le destin tragique de familles ayant perdu cinq, six garçons ; les mères brisées par le chagrin deviennent des symboles de la douleur et de la tristesse de toute une Nation. La colère s’amplifie…
Le 2 novembre un conseil des ministres extraordinaire est réuni et propose, pour calmer les esprits, l’inhumation d’un soldat inconnu au Panthéon en même temps que le transfert du cœur de Gambetta. Mais le 8, à la surprise générale, les députés décident que le mort anonyme reposera sous l’Arc de triomphe. Il ne reste alors plus que trois jours avant les cérémonies !
Les généraux des huit secteurs ou se sont déroulés les combats les plus meurtriers (Artois, Champagne, Aisne, Flandres, Ile de France, Lorraine, Somme, Verdun) reçoivent l’ordre de faire exhumer dans un endroit qui restera secret, le corps d’un militaire dont l’identité personnelle n’a pu être établie. La mission est quasi impossible, car il est souvent impossible de différencier un soldat français d’un ennemi. Le 9 novembre 1920, huit corps placés chacun dans un cercueil de chêne sont acheminés jusqu’à Verdun. Une galerie souterraine de la citadelle a été transformée pour l’occasion en chapelle ardente. Les murs ont été blanchis à la chaux. Des lampes électriques sont voilées de mauve, des cierges placés dans des douilles d’obus éclairent la scène.
Et maintenant se pose la question de savoir comment et par qui doit être faite la désignation. Il fut tout d’abord envisagé de confier cette tâche à une veuve de guerre, un pupille de la Nation. Finalement c’est un soldat, frère d’armes que l’on choisi. Le 10 novembre matin, le premier sélectionné, un poilu originaire de Fort de France combattant au Chemin des Dames et à Verdun est hospitalisé, victime de la Typhoïde. Il faut vite lui trouver un remplaçant, nous sommes à quelques heures de la cérémonie ! c’est alors que le Chef de corps du 132éme RI appelle Auguste THIN. Ce jeune soldat est originaire du Calvados. Commis épicier de 19 ans, il s’est engagé le 3 janvier 1918 et c’est un des rares survivants de son régiment décimé en Champagne en 1918.Le Colonel lui explique alors ce qu’il attend de lui et lui fait percevoir un uniforme neuf. Casqué, sanglé il rejoint ensuite la garde d’honneur chargée de veiller sur les cercueils. André Maginot, ministre des pensions lui remet un bouquet d’œillets blancs et rouges qu’il doit déposer sur un des cercueils. Augustin THIN, très ému fait une première fois le tour des huit cercueils, très vite, puis au second tour dépose son bouquet. Appartenant au 132éme RI du 6éme corps, en additionnant le 1, le 3, le 2 il obtient le 6 : ce sera donc le sixième cercueil en partant de la droite qu’il choisit. Tout va alors très vite.
Installée sur l’affût d’un canon de 75 tiré par un attelage de chevaux, la dépouille prend la direction de la gare de Verdun, escorté par Auguste THIN et ses frères d’armes.
L’après midi du 11 novembre 1920, après une étape au Panthéon, le cercueil du soldat inconnu, placé sur un canon de 155, remonte les Champs–Elysées pour s’arrêter sous la voûte de l’Arc de triomphe.
A Verdun, au même moment Augustin THIN assiste à l’inhumation des sept autres corps inconnus au cimetière du Faubourg –Pavé.
A Paris les cérémonies s’achèvent vers 19 heures. Le cercueil est alors installé dans une salle du pilier gauche de l’Arc de triomphe en attendant que la tombe soit creusée sous la voûte. Un piquet d’honneur veillera nuit et jour. Les travaux ne sont pas facile, car lors de l’édification de l’Arc vu son poids, il a été indispensable de renforcer le sol.
Le vendredi 28 janvier 1921 à 8h30 le cercueil est déposé devant la fosse par des poilus du 1er régiment du génie.
Le ministre de la Guerre, Louis Barthou, dépose sur la bière un coussin de velours bleu sombre sur lequel sont agrafées la croix de guerre, la médaille militaire et la croix de la légion d’honneur. On referme le caveau avec une dalle qui comporte ces mots : « Ici repose un soldat français mort pour la France.1914-1918. ».
Trois ans plus tard, le 11 novembre 1923, André Maginot devenu ministre de la Guerre allume la flamme qui désormais est ranimée chaque soir.
Roland Dorgelès écrira : « chaque mère pourra dire, s’inclinant sur la dalle : c’est peut –être le mien »