Un débarquement en Normandie ….

C’était le 9 Mars 1945, les alliés s’emparaient du pont de Remagen…..et les allemands débarquaient à Granville (Manche). Il ne s’agissait certes pas d’une tentative de conquête territoriale mais d’un audacieux coup de main à but « utilitaire « .

Plantons le décor :

Les îles anglo-normandes (Jersey, Guernesey, Serk, Aurigny) sont proches de la cote Ouest du Cotentin : Aurigny n’est qu’à 16 Km de la pointe de La Hague. Vers la mi-Juin 1940 le gouvernement anglais décida que ces îles ne seraient pas défendues. Seulement 1/3 des habitants soit environ 30.000 personnes quittèrent les îles pour trouver refuge en Angleterre. C’est donc sans coup férir que dès le début du mois de Juillet les forces allemandes (terre, mer, air) occupèrent l’archipel. La plus parfaite courtoisie fut observée de part et d’autre. Ainsi le Procureur de Sa Majesté fit savoir que « les relations ne sont pas seulement correctes, elles sont cordiales et amicales. Ne les compromettons pas par une attitude inconvenante ou indisciplinée ». Les jersiais et guernesiais ne connurent donc pas une occupation aussi brutale que sur le continent, bien au contraire, mais, quelle horreur ! furent provisoirement contraints de rouler à droite.

Lorsque, faute d’avoir pu envahir l’Angleterre, Hitler décida la construction du Mur de l’Atlantique, l’organisation Todt fit un très gros effort pour la fortification des îles anglo-normandes, effort justifié puisque toute la côte ouest du Cotentin se trouvait couverte, donc à l’abri d’un éventuel débarquement allié. Je me souviens de pitoyables hordes de déportés venant des pays de l’Est (18.000 ?) acheminés par voie ferrée à Saint-Malo d’où ils étaient embarqués vers Jersey. Le plus célèbre et solide ouvrage parmi ceux qui furent construits est la batterie » Mirus » armée de 4 pièces de 305 m/m. Si l’artillerie de côte et la D.C.A. trouvaient à s’occuper, les 3 régiments d’infanterie de la 319ème D.I. coulaient des jours paisibles, loin des rigueurs du front russe.

Dans les jours qui suivirent le 6 Juin 1944 le maréchal Rommel demanda que la 319ème D.I.vienne renforcer la Wehrmacht en Normandie. Hitler refusa. A partir du mois d’août les Alliés occupèrent Granville et Saint-Malo, interdisant ainsi toute possibilité de ravitaillement des îles anglo-normandes à partir du continent. Cependant la Luftwaffe continua tant bien que mal à assurer des liaisons avec les différentes poches allemandes: Lorient, Saint-Nazaire, La Pallice, etc. Le général Eisenhower pour sa part ne manifesta aucune intention de s’emparer des îles anglo-normandes. Mais les ressources agricoles de Jersey et Guernesey devinrent nettement insuffisantes pour subvenir aux besoins de la population locale, des quelques 36.000 soldats, marins et aviateurs allemands, sans compter les travailleurs déportés. Les civils avaient leurs tomates, leurs pommes de terre et leurs vaches. Les allemands disposaient de 3 mois de vivres. La disette s’installa pour tout le monde, insoluble localement pour certains articles. Qui par exemple aurait songé à stocker des allumettes? Un accord conclu entre l’occupant et le gouvernement britannique permit, à partir de décembre 1944 d’atténuer cette disette pour les civils. La Croix Rouge Internationale put en effet affréter régulièrement un cargo ravitailleur, le »Véga ». Pour les allemands un strict rationnement s’imposa. Churchill était satisfait : les civils pouvaient subsister et attendre, quant aux allemands il les considérait comme des prisonniers virtuels qui présentaient le grand avantage de se garder eux-mêmes ! Ces derniers se disaient appartenir à la « Division Canada », persuadés qu’ils étaient de finir la guerre et quelques mois ou années de plus derrière les barbelés d’un camp de prisonniers au Canada.

Si la famine était approximativement écartée, il fallait cependant pouvoir s’éclairer, se chauffer et pour l’occupant demeurer en mesure de combattre. Sur l’île de Jersey la vieille centrale électrique à charbon fut remise en marche, la réserve de gas-oil étant presque épuisée. La distribution du gaz avait cessé dés le 4 Septembre. Et bientôt le charbon vint lui aussi à manquer. Pourtant s’il n’y avait plus de charbon sur l’île, il y en avait à profusion pas très loin. Les alliés utilisaient les ports de la Manche pour leur logistique et avaient réservé à Granville et Saint-Malo le rôle de ports charbonniers. Les convois de cargos s’y succédaient jour après jour au vu et au su des allemands qui avaient installé un poste d’observation sur la maîtresse île des Minquiers (15 Km Sud de Jersey). De plus des prisonniers de guerre allemands étaient employés sur les quais de Granville. Parmi eux se trouvait un aspirant de marine qui le 21 Décembre 1944, avec 4 de ses hommes « emprunta »un L.C.V.P aux américains et fit route sur Les Minquiers. Ils avaient certes brûlé la politesse à des gardiens peu vigilants mais leur principal mérite fut de renoncer aux copieuses rations américaines pour se soumettre à un régime de misère. A Jersey, devant l’amiral Hufmeier, commandant interarmées des îles anglo-normandes, il raconta tout ce qu’il savait concernant le port de Granville et …..la remarquable inexistence de sa défense. Un plan fut rapidement établi visant à :

  • s’emparer d’un ou plusieurs cargos,
  • détruire les cargos qu’on ne pourrait pas emmener,
  • rendre le port de Granville inutilisable.

Le principal danger venait non de la dérisoire défense du port mais de la présence permanente sur zone d’un patrouilleur américain. Le choix de la date de l’opération était conditionné par les conditions météo, un coefficient de marée élevé et une pleine mer aux environs de minuit, enfin l’absence de lune. La date choisie fut la nuit du 6 au 7 Février 1945, 150 hommes furent isolés et entraînés. Mais une météo trop défavorable provoquant des incidents mécaniques fit avorter cette tentative. L’ordre de repli fut donné alors qu’un des deux éléments d’assaut arrivait en vue de la plage de Granville sans être repéré. Les plans furent revus, une nouvelle date choisie, celle de la nuit du 8 au 9 Mars 1945. Quatre avisos dragueurs accompagnés d’un remorqueur étaient chargés de la mission principale vers le port et trois petits patrouilleurs rapides devaient mettre à terre un commando sur la plage, en couverture face à la ville. Pendant ce temps un groupe de trois chalands porte -canons armés chacun de 2 pièces de 88 m/m devait « s’occuper » du patrouilleur américain de garde, le » P.C. 564″ armé d’un canon de 76 m/m et un de 40m/m   Le poste radar U.S. de Coutainville (20 Km Nord de Granville) avait repéré des navires suspects et donné l’alarme en particulier au P.C. 564; Dés le début de l’engagement le canon du patrouilleur s’enraya. Touché par un coup au but de 88, il fut désemparé et alla s’échouer prés de Cancale. Pendant ce temps l’assaut était lancé sur Granville par les deux directions prévues: la ville (fermeture de l’isthme) et le port. Dans l’avant-port, ayant mal évalué la hauteur d’eau, l’aviso allemand » M 412″ s’échoua et dut être abandonné après sabordage. Le commando de capture, bénéficiant du concours de 80 prisonniers de guerre allemands en service sur les quais, accomplissait sa mission. On se battit sur les cargos, plusieurs membres d’équipage furent tués, deux capitaines faits prisonniers. Sur les 5 cargos présents dans le port un était prêt pour l’appareillage: » l’Eskwood « qui contenait encore 112 tonnes de charbon. Il fut pris en remorque et emmené vers Jersey avec 60 prisonniers allemands « libérés ». Trois cargos furent sabordés et le dernier légèrement endommagé. Les installations portuaires, en particulier les grues furent détruites ou endommagées.

Le commando chargé de couvrir l’action en ville avait débarqué sur la plage du » Plat Gousset » jouxtant l’hôtel des Bains qui hébergeait nombre d’officiers américains. Ceux-ci furent surpris au lit, certains en aimable compagnie. En pyjama ou autre attirail peu martial ils furent embarqués vers Jersey. Un colonel américain et son chauffeur arrivant à ce moment furent tués. Une commerçante habitant l’immeuble voisin eut la mauvaise idée d’allumer la lumière et d’ouvrir ses volets, elle mourut sur le champ. Une partie de ce commando s’était porté vers le sémaphore en vue de détruire un radar….inexistant. Le repli s’opéra, sous la protection d’une volée d’obus dont le granit de la grande jetée conserve la trace et deux heures plus tard les renforts américains arrivaient.

Cet audacieux coup de main fit l’objet de communiqués triomphants dans les îles anglo-normandes et dans les poches de l’Atlantique.  

C’était le 9 Mars 1945……. deux mois plus tard exactement l’amiral Hufmeier signait la reddition des forces allemandes des îles anglo-normandes.  

BIBLIOGRAPHIE: Hold-up Naval à Granville. Jacques Mordal.   Éditions l’Ancre de Marine. 1991.  

Général Albert Dupont